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La fraude alimentaire est beaucoup plus invasive et malfaisante qu’on ne l’imagine : dans les supers et les hypers, dans les marchés bios, les restaurants étoilés, les chaînes de fast food, les plats cuisinés, les hangars chinois, les fermes piscicoles, chez les maraichers, les épiciers, dans les rizières camarguaises. Partout. Faux miel, fausses épices, poissons piqués aux nitrites, farines animales interdites mais consommées y compris en France, faux pesticides, faux bouillon cubes, fausses carottes, fausses tomates. Ce zoom arrière avec une journaliste spécialisée en malbouffe peut filer la nausée mais il est surtout formidablement instructif.
Denis Robert cuisine Ingrid Kragl à petit feu et on comprend l’ampleur des dégâts. Les contrôles sont largement inefficaces et les mafias (principalement italiennes) l’ont compris puisque, d’après les stats de Foodwatch, une ONG en pointe sur ces questions depuis 2002 et la crise de la vache folle, la Camorra et Cosa Nostra gagnent aujourd’hui plus d’argent en supervisant ces trafics alimentaires qu’en vendant de la drogue. Pour eux, et c’est une des explications du désastre de santé publique, les risques sont moindres. Vendre de la nourriture contrefaite, contaminée, adultérée, illégale, des appellations d’origine protégée qui n’en sont pas, des imitations de grands crus ou des faux pesticides est devenu un business très juteux où le risque de se faire coincer reste minime. Industriels et politiques le savent mais le sujet, tabou, est occulté en France et un peu partout en Europe. C’est ce que révèle le livre « Manger du faux pour de vrai. Les scandales de la fraude alimentaire » écrit par Ingrid Kragl (Robert Laffont, 2021), en charge des investigations à Foodwatch.
Denis Robert s’appuie sur cette enquête fouillée pour révéler ces questions de salubrité publique trop oubliées par les grands médias et les politiques. Pendant une heure dense, il détaille les magouilles, explique pourquoi les raisons de frauder nos aliments sont légion. Outre le désintérêt des ministères concernées (agriculture, santé), l’autocontrôle des hypermarchés et la baisse des effectifs à Bercy expliquent en grande partie le développement de ce marché international du faux, dont les effets -épidémies, cancers ou gastroentérites-, sont trop méconnus. Ce qui ne peut qu’inquiéter.
Les consommateurs -y compris ceux qui pensent être épargnés en mangeant bio- sont sous informés et victimes de ces trafics : quels sont les produits concernés ? Quelles marques ? Où sont-ils vendus ? En quelle quantité ?
« Le bio coute cher, il est donc en premier lieu l’objet de trafic parfois indécelable, sans moyen d’enquêter, explique Ingrid Kragl, qui ajoute : « La fraude alimentaire est un phénomène croissant mais savamment occulté tant par nos autorités que l’industrie agroalimentaire et la grande distribution qui sont parfaitement au courant. Face à l’ampleur des fraudes, l’opacité de nos autorités françaises qui sont, sinon complices, complaisantes avec les contrevenants - est insupportable ».
Les faits sont implacables et filent le bourdon. Et des migraines. En France, une épice sur deux est frauduleuse. 43% des miels chez nous présentent des défauts de composition, de qualité, sont faussement étiquetés français ; certains n’ont jamais vu l’ombre d’une ruche tant ils sont adultérés chimiquement. Des vins du Languedoc sont frauduleusement rebaptisés Pomerol, Margaux ou Saint-Julien. Un produit bio sur douze contrôlé en France n’est pas aussi bio qu’il le prétend. Dans les Alpes maritimes, ce chiffre monte même jusqu’à un produit bio contrôlé sur trois.
Des chevaux impropres à la consommation, bourrés d’antibiotiques, pénètrent aujourd’hui encore la chaîne alimentaire en catimini. Côté volailles (poulet, dinde, canard, oie et pintade), environ un vendeur sur deux triche – notamment sur les labels de qualité fermier, AOP, IGP, label rouge. En Europe, un pesticide sur sept est contrefait et ces sinistres imitations de produits phytosanitaires sont utilisées dans l’Hexagone. De l’huile de tournesol à un euro le litre se transforme en huile d’olive vendue dix fois plus cher grâce à l’ajout de… chlorophylle. Du thon avarié est injecté d’additifs dangereux pour avoir l’air frais et être ensuite revendu comme si de rien n’était.
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