Il y a toujours un épisode au moins dans chaque bonne saison d’une grande série qui remet les pendules à l’heure et qui calme tout le monde. J’ai encore en tête une certaine attaque dans True Detective (saison 1; épisode 5), très récemment un certain épisode 6 en noir et blanc de Watchmen (chef-d’oeuvre…) ou ce troisième épisode de la saison 3 de The Crown, il y a peu, qui m’a scotché. Netflix transforme son personnage et nous projette dans un univers bien plus inconfortable que dans les deux premières saisons, en quelques minutes.
Petite remise en perspective. The Crown, saison 1, permet de poser le personnage d’une future reine qui n’a pas trop le choix. Ses jeunes années, sa famille, sa vie bousculée par la guerre, les décès et le protocole. L’attachement/ l’identification à Elizabeth II (Claire Foy) est organique : on ne peut que l’aimer, on ne peut que comprendre ce qui lui tombe dessus, le spectateur est forcément inquiet pour elle. Cette « pauvre » jeune femme qui doit apprendre à composer avec le pouvoir et le protocole, ça pourrait être nous.
Dans la saison 2, c’est son couple qu’elle doit préserver de la fonction et son mari à qui elle doit offrir une place d’homme et de Duc. Il est au deuxième plan en public mais demeure le père de ses enfants et l’époux avec qui elle passe ses nuits. Elizabeth II doit arbitrer, parfois dans la douleur, entre son rôle de femme et sa place de souveraine. Nous sommes de nouveau de tout coeur avec elle, la trouvant parfois injuste ou cruelle mais nous posant nous-même la question : qu’aurais-je fait à sa place ? Qu’aurais-je du faire sous la contrainte ? Comment tenir bon quand l’intérêt d’une nation passe avant celui de l’intérêt d’une femme et de son couple ?
Mini jupe et maxi protocole
Bouleversement total en saison 3 : exit Claire Foy et ses petits yeux de biche effrayée, place à Olivia Colman, regard noir, ne battant jamais des cils quand elle parle (observez !). Insondable, sombre, arc-boutée sur sa fonction et des siècles de règles formelles, la reine désormais n’est plus en apprentissage. Elle incarne sa fonction depuis maintenant presque vingt années et sait d’instinct ce qu’une souveraine peut ou ne peut pas faire. Hélas, bloquée à Buckingham Palace, elle en oublie son pays qui a plus vite avancé qu’elle et qui change d’époque, semblant passer d’un siècle à l’autre, du mono au stéréo, du noir et blanc à la couleur. Les années soixante en Angleterre, le fameux Swinging London, touche quelque peu le palais (on le voit dans la mode, la musique, les coupes de cheveux) mais le protocole ressemble toujours de près à ce qu’il était dans les années 20.
Une catastrophe nationale au Pays de Galles
L’épisode 3 de The Crown redistribue totalement les cartes en nous dévoilant pour la première fois une reine d’abord indifférente, presque cruelle, puis totalement larguée face à une tragédie nationale, au Pays de Galles. C’est de la catastrophe d’Aberfan dont nous parlons : un éboulement de terrain autour d’une mine de charbon ayant causé la mort de 144 personnes dont 116 enfants. L’épisode, superbement réalisé, ne nous épargne aucun moment douloureux : les larmes montent aux yeux en écoutant l’éloge funèbre ou lors d’un long plan panoramique survolant les dizaines de petits cercueils.
Une émotion hélas peu ressentie à Buckingham : la reine, glaciale, glacée se contente d’envoyer un communiqué froid dans un premier temps puis, cédant à la pression envoie son mari en éclairage (un moment fictif, totalement inventé pour les besoins de la série) avant de se résoudre à prendre l’avion, menacée par la presse qui la juge indifférente et de constater par elle-même l’étendue du drame, offrant une larme circonstanciée mais bienvenue aux photographes sur place.
« Je suis incapable de pleurer »
Que de cruauté envers un personnage que nous avons tant aimé ! Et quel rôle en or pour Olivia Colman qui, comme un animal à sang froid que rien ne semble atteindre, glisse entre les tombes, les familles de victime et l’émotion populaire comme un roc monarchique en marbre noir qui se tamponne un oeil sec devant les photographes. Les scénaristes s’en donnent à coeur joie : la reine est « incapable de pleurer » comme elle le confie à son premier ministre Harold Wilson ou de ressentir des émotions, que ce soit dans le deuil ou à la naissance de son premier enfant. Si cette scène vient expliquer quelque peu sa distance naturelle avec les situations, elle nous sert à nous détacher en un seul épisode de l’époque Claire Foy et annonce la cruauté qui semble désormais de mise dans la série entre les Royaux et nous.
Ce n’est pas une grande fresque historique que nous regardions mais bien un jeu de mise à mort dont il faut accepter les règles. La reine, son époux, sa soeur, ses enfants, voilà le destin d’une famille qu’on va nous emmener à mépriser, à détester, à maudire parfois. Un éprouvant épisode.Et puis enfin, comme une délivrance, ce dernier plan, lent, fixe, sur le visage d’Olivia Colman. Ce qui était impossible devient soudain possible. La Reine ressent. Les derniers mots affichés à l’écran ne sont pas vains, non plus.
« Le seul et unique Game Of Thrones »
Le spectateur que je suis est un peu étonné, peut-être même me sens-je un peu trahi, me souvenant d’une promesse initiale bien plus positive et plus romanesque. Non, trois fois non : vous pensiez tourner les pages de « Gala« , grossière erreur, vous voilà médusés devant le « vrai » Game Of Thrones. J’ai eu la faiblesse de croire depuis trois ans que je regardais un joli conte de fée en sept saisons !