Categories: Actualités

Et si on parlait de la fin de Game of Thrones ?

Deux mois que la série est terminée, que la hype est retombée, que les émotions se sont refroidies, pourtant une grande partie des gens semble accepter le fait que Game of Thrones ait une fin déceptive et très mauvaise. Les choix scénaristiques des deux showrunners ont donné l’impression à certains que la série était partie en vrille, qu’ils avaient mal raconté leur histoire quoi. Ce fût également mon cas au visionnage des 4 derniers épisodes de la série, où j’avais l’impression qu’une technique impeccable côtoyait une succession de foirages narratifs que personne n’aurait écrits avec un minimum de jugeote. A l’heure où nombre de fans préfèrent signer des pétitions que de réfléchir à ce qu’on leur a raconté, aidés qu’ils sont par une presse toujours encline à montrer le sens du vent de peur de froisser les déçus, j’écris ce commentaire pour encourager celles et ceux qui ont ressenti la même chose à accorder un second visionnage à cette saison 8. Car en regardant cette saison avec toutes les clefs en main, force est de constater que les showrunners ont été beaucoup plus malins que moi, et qui sait peut-être plus malins que vous aussi. Inutile de dire que ça va spoiler sec dans la suite de cette chronique.

Ce que je n’avais pas compris à mon premier visionnage est à quel point les showrunners ont capitalisé à mort sur l’empathie que l’on a envers les personnages, principalement Jon, Tyrion et Daenerys. Sachant pertinemment que ce sont les personnages préférés d’une large communauté de fans, ils ont misé sur l’identification que l’on a envers eux. On connaît Daenerys et ce qu’elle a dû traverser pour en arriver là (la mer par exemple, mais ce sera mon seul calembour), on connaît Jon pour son rôle de protecteur de la menace qui arrive derrière le mur, on connaît Tyrion pour son caractère malicieux, mais toujours vous servir une bonne cause. Trois personnages qui jusque-là vivaient séparés les uns des autres, mais dont les actes et la conséquence de ceux-ci leur ont toujours donné raison. Jon avait raison quand il suggérait de s’allier avec les sauvageons, donc pourquoi aurait-il tort de proposer une alliance à Daenerys ? Tyrion a déjà servi un tyran et cela lui a beaucoup coûté, pourquoi prendrait-il le risque d’en suivre un autre ? Et Daenerys, pourquoi ferait-elle autre chose qu’œuvrer pour le bien commun ? Après tout c’est son rôle, c’est comme ça qu’on la voit depuis la saison 1 et Game of Thrones ne nous a pas habitués à des personnages complexes qui en voulant obéir à leur vision du bien finissaient par causer du tort chez ceux pour qui elle ne correspondait pas. N’est-ce pas ?

Que se passerait-il si ces personnages se retrouvaient confrontés ? Il y aurait conflit. Nous avons suivi des personnages avec une vision du bien différente, et il est possible qu’à force, cette vision s’est uniformisée et a transformé la série en simple bataille de gentils contre méchants. Jon c’est le gentil, et Daenerys c’est la gentille, donc ensemble c’est gentil compte double. Et je pense que cette saison 8 est venue mettre deux claques à ceux qui avaient oublié ce détail. Car je suis persuadé que beaucoup partageaient les mêmes attentes pour cette ultime saison. La fin de la septième laissait présager une alliance entre les ennemis d’hier pour lutter contre l’ultime menace, et ensuite un épilogue pour régler les conflits politiques dans un monde dévasté. Les gentils s’allient avec les méchants, ils deviennent tous gentils et c’est la grosse bagarre. Et l’idée que je trouve géniale est d’avoir rappelé que malgré la grande menace surnaturelle qui entourait le royaume de Westeros, l’apocalypse pouvait toujours venir de la part de ceux qui gouvernent, comme ça a toujours été dans la série.

Je dis ça parce que j’ai vu beaucoup de monde depuis le début de la série faire le parallèle entre les marcheurs blancs et les problèmes écologiques, mais très peu avoir vu dans la destruction de Port-Réal une allégorie de la bombe nucléaire. La représentation des retombées de cendres dans la ville ressemblant à s’y méprendre à l’idée que l’on se fait d’un hiver nucléaire dans la fiction. Et l’hiver vient, vous l’avez ?

A ce moment-là je pense que pas mal d’entre vous ont plutôt adhéré à l’hypothèse que ce changement de menace entre Marcheurs blancs et Daenerys est une douille bricolée en urgence par les scénaristes qui ont voulu chercher un moyen cohérent de finir une histoire de manière pas trop prévisible. Pour soutenir ma pensée, je vais m’appuyer sur un article écrit par le site cinemasangha (sourcé à la fin de cette chronique). L’idée de l’auteur étant que Georges R.R Martin écrit ses histoires de façon opposée à celle de son modèle : Tolkien.

Dans une saga comme le Seigneur des anneaux (je vais spoiler aussi comme un sale, mais bon je pense que tout le monde connaît les bails), quand Aragorn devient roi l’histoire est terminée, le mal est vaincu. Martin lui s’intéresse à ce qu’il se passe après, car pour lui il est impossible qu’une situation de crise importante se résolve en un simple combat de gentils qui gagnent contre les méchants. L’histoire de Game of Thrones prend place 16 ans (moins dans les livres) après la grande guerre opposant les familles Baratheon et Targaryen, une guerre teintée d’héroïsme, de grandes batailles, de trahison, de dragons, de politiques et tout le package qui vient avec. Pourtant plutôt que de nous raconter cette histoire qui pourrait faire une excellente saga d’heroïc fantasy, Martin nous raconte ce qu’il se passe après, dans un monde qui porte encore les cicatrices de la guerre et des conflits d’antan.

Dans cette configuration, pourquoi, nous spectateurs, voulions que cette histoire se termine par une guerre héroïque entre humains et morts-vivants ? N’avons-nous rien appris de cette histoire ? Et si toute l’intrigue autour du roi de la nuit n’était pas justement un leurre pour nous cacher ce que raconte Game of Thrones depuis le début ? Une intrigue politique dont les conflits sont causés par des sentiments humains comme la colère, le désir de vengeance ou l’amour, et où il n’y a ni bon ni mauvais, juste des individus catapultés au pouvoir agissant selon leurs désirs ? La menace des marcheurs blancs n’agirait que comme un rappel des véritables intentions de la série, à savoir dépasser le cadre de l’heroïc fantasy classique, montrer quand même la grande bataille du bien contre le mal que tout le monde attendait, mais emmener le spectateur à l’après-bataille, pour voir comment un monde rongé par de plus en plus de guerres pourra se relever. Dans ce cas-là, comment faire autrement que rendre la grande bataille contre les marcheurs blancs simplement anticlimatique ?

C’est pour cela que je suis en désaccord avec la volonté qu’avait le réalisateur du fameux épisode 3 de faire mourir Jorah au début de la guerre contre les marcheurs blancs. Depuis le début de la série, il était bel et bien le seul à pouvoir calmer sa reine quand ses idées devenaient un peu trop dangereuses (Sisi, regardez la série vous verrez), il fallait donc que sa mort soit marquante, pas seulement qu’elle ne soit réduite qu’à une façon de « donner le ton de l’épisode », et là je cite les propos du réalisateur. Et dans ce fameux retournement de situation de l’épisode 5, certains y voient une trahison du personnage de Daenerys qui était sensée briser la roue du destin et montrer que le sang ne conditionne pas la nature de l’individu, de mon côté j’y vois un rappel d’une valeur que la série voulait enseigner depuis le début, à savoir que les personnages les plus bienveillants peuvent cacher de vrais salopards.

Pour accentuer cette impression, les scénaristes se sont servis des aprioris et habitudes de spectateurs, car tout le monde a déjà vu un film ou lu un livre racontant l’histoire d’une personne maudite par son héritage, qui va devoir s’en affranchir et qui y arrive. Le but du personnage de Daenerys était donc de retourner ce stéréotype pour en faire celui d’un personnage qui se donne cette mission, qui fait le bien autour d’elle pour la réussir. Sa vision du bien consiste à défaire ceux qu’elle voit comme puissants et obtenir la reconnaissance de ceux qu’elle considère comme victimes. Jusqu’au moment où la reconnaissance devient soumission et où chaque « puissant » qu’elle rencontre, aussi allié soit-il, ne soit perçu comme une potentielle menace. Privée de pouvoir, de reconnaissance, et suite à tout un tas de drames qui lui sont tombés dessus, elle finit par commettre les mêmes atrocités que son père. Bref un personnage complexe et ambigu, écrit pour renverser les clichés et les habitudes de spectateurs tel de nombreux autres dans la série, et revoir Game of Thrones avec cette donnée en tête donne un tout autre sens à ses interventions.

Et au final, est-ce que tout ne s’est pas conclu comme il aurait fallu ? Tyrion doutant de sa propre idée qui a permis de créer une paix probablement durable, et demandant à Jon de lui redemander si c’était la bonne chose à faire dans 10 ans, comme une ultime déclaration des scénaristes se demandant également si c’était la bonne chose à faire. Comme si eux-mêmes face à leurs choix réfléchis depuis longtemps se demandaient si cela allait être bien pris. Les spectateurs accepteront-ils leurs choix ou resteront-ils fixés sur leurs attentes sans voir ce qu’on leur propose derrière ? Ce qui a été proposé est finalement autre chose qu’une série politique avec de la guerre, c’est l’histoire d’hommes et de femmes qui se battaient pour quelque chose, certains sont tombés, certains sont encore debout, certains étaient justes, d’autres mauvais sans le savoir.

Et c’est pour cela que l’épisode 5 est principalement filmé à hauteur des personnages, pour montrer les moments que l’on attendait et sans quoi la série aurait eu un goût d’inachevé. Le moment Sandor-Gregor, le moment Jaime-Cersei, le moment Tyrion-Jaime, le moment Sandor-Arya et j’en passe. La conclusion des personnages encore en vie est cohérente avec leur parcours : Jon redevient roi du vrai Nord, celui qu’il a toujours défendu, Tyrion seconde un roi de confiance alors qu’il n’a servi que des tyrans, Sansa qui obtient enfin ce qu’elle voulait depuis le début : l’indépendance. Quant à celle des personnages morts, Sandor règle ses conflits fraternels dans les flammes qui les ont vu naître, Jaime et Cersei meurent cachés de tous comme ils ont voulu l’être de leur vivant, Daenerys qui est née en tant que mère des dragons dans les flammes finit par mourir au moment où celles-ci s’éteignent et que seules les retombées de cendre sont encore visibles. Je vais pas faire tout le casting mais vous saisissez l’idée. Comment peut-on dire après ça que les showrunners sont stupides alors qu’ils ont réussi à respecter le parcours d’une écrasante majorité de leurs personnages pour leur accorder une fin correspondant à ce qu’ils ont vécu ? Quelque chose me dit que si les livres s’étaient finis de la même manière, la réception aurait été différente.

Qui de mieux alors pour régner que celui qui connaît l’histoire de tout ces personnages ? L’histoire de Bran on la connaît, un enfant qui en étant privé d’une partie de son corps finit par s’exiler dans une contrée lointaine pour acquérir tout le savoir du monde, et qui perpétue sa sagesse en accédant au plus haut niveau de pouvoir. Je vous partage une analogie que j’ai vue dans ce dernier épisode et que je trouve assez poétique. Si l’on transpose Bran dans un contexte différent, on peut y voir l’histoire d’une personne découvrant une saga littéraire qui l’a marquée, devenant d’abord spectateur passif de sa lecture. Passionné par ce qu’il découvre, il se met en tête de déchiffrer cet univers et d’en connaître toute l’Histoire et la mythologie. La finalité de tout cela sera son élévation en tant que scénariste, dont le rôle est maintenant d’écrire l’histoire aidé de toutes les informations qu’il connaît. On a là l’histoire de Benioff et Weiss avec A Song of Ice and Fire, deux fans qui en écrivant l’histoire qu’ils ont rêvé d’écrire encouragent désormais les spectateurs à faire de même, à écrire des histoires, à rassembler les gens derrière leurs créations.

Car comme le dit l’analogie de Tyrion : rien ne lie mieux les peuples qu’une bonne histoire. Et pour en avoir créé une aussi bien complexe qu’émotionnellement universelle, je ne saurais remercier assez les showrunners de cette saison 8 et de cette série en général qui sera certainement la dernière à générer pareil engouement. A ce titre Game of Thrones n’est pas juste une série populaire, c’est une véritable anomalie. Pour avoir créé un énorme phénomène de mode à partir d’une histoire de fantasy, un genre absolument pas vendeur, c’est qu’il y a forcément quelque chose.

Il restera bien entendu quelques zones d’ombre, à explorer ou pas dans les prequels et spin-off. Quelques menu incohérences, quelques facilités deci delà. De mon côté je ne pense pas qu’une fiction ait pour rôle de remplir des trous ou de répondre à toutes les questions que les spectateurs se posent. Je pense que l’important est de raconter quelque chose qui se tient avec un propos cohérent de bout en bout, et à ce niveau, je pense que Benioff et Weiss, sans être irréprochables, ont réalisé un travail exemplaire.

L’article en question : https://cinemasangha.com/2019/05/13/this-has-always-been-what-game-of-thrones-is/

Chronique par Viandeur.

Share
Published by
Maretoh