Un mardi, une chronique ! Toi aussi, tu veux écrire un mot sur ta série préférée et la faire connaître à tes acolytes sérievores ? Alors n’hésite pas à envoyer un e-mail à marie@betaseries.com ! Ta chronique sera ensuite publiée sur le blog et relayée sur les réseaux sociaux de BetaSeries. De quoi trouver de l’inspiration et peut-être découvrir votre prochaine série coup de cœur !
Sans plus tarder, retrouvez la chronique de GummyBear qui vous parle de Stranger Things !
À la fin du visionnage de la saison 2, j’avais envie de me fendre d’un « petit » texte sur cette série réussie à tous les niveaux. Les frères Duffer ont tout compris, vraiment tout. Ils ont parfaitement intégré le langage cinématographique instinctif de Spielberg – notamment les plans dans la saison 1 sur le visage de la petite sœur blonde marqué par la terreur pendant la dispute familiale à table. C’est à déchirer le cœur. Cette gamine ballottée entre les tensions des adultes, dépassée par les drames du quotidien qui planent sur sa tête, incapable d’en fléchir le cours, mais vulnérable émotionnellement ; cette hypersensibilité mêlée d’impuissance, c’est ce qu’on a tous vécu plus ou moins dans notre enfance.
Le documentaire HBO consacré au réalisateur d’E.T. met en évidence le soin apporté par Spielberg aux visages et à leur expression. La marque de fabrique d’un film d’horreur tient moins dans les gros plans sur les monstres que sur les cadrages serrés des visages terrorisés. J’en viens à l’autre aspect majeur, qui fait pour moi le succès de cette série : les personnages. Et là, je veux faire référence à Stephen King. Selon ce maître du suspense, que les frères Duffer tiennent comme l’une de leurs plus grosses inspirations, la base de l’intrigue tient tout entière dans l’attachement aux personnages. Si le créateur n’a pas veillé à ce que le spectateur aime foncièrement le protagoniste, ce dernier pourra crever d’un cancer généralisé qu’on en aura strictement rien à carrer. MAIS. Si le spectateur s’est lié d’affection avec lui, s’il a rigolé devant ses conneries et pleuré en accord avec ses souffrances, on sera d’autant plus déchirés qu’il subira un revers, qu’il sera en danger, qu’il sera confronté au surnaturel. Les frères Duffer ont tellement bien réussi leur coup, et les acteurs aussi, que si je croisais ces derniers dans la rue, bien qu’ils ne sont que des gamins, je ne répondrais pas de mon calme stoïcien, je serais très probablement envahi des mêmes secousses émotionnelles que leurs personnages respectifs ont su déclencher de l’autre côté de l’écran. Ils m’ont cueilli pendant les deux saisons. Ce sont des acteurs hors-normes, ils sont monstrueusement et intrinsèquement attachants. Si on retire tout le côté fantastique, qui est par ailleurs indispensable pour souder leur amitié et les rassembler, que reste-t-il ? Ils vivent une amitié forte à la Goonies , chacun a sa personnalité, ils sont bizarres et marginaux (cf. King), ils veulent refaire le monde, en se croyant investis d’une mission qui les dépasse et qui, dans le même temps, fait partie du monde imaginaire des enfants. Bien que questionnant constamment leur monde, ils n’hésitent pas une seule seconde à croire à la magie. Vous retirez les monstres, vous retirez un liant, mais vous gardez cette union indestructible qui les unit fondamentalement, avec lequel ils affrontent la réalité de la vie adulte qui commence pour eux : brimades, vie amoureuse, débuts de l’indépendance.
Si on retire les monstres, il nous reste la disparition de Will, les répercussions sur ses amis et tout le séisme que ce drame provoque. C’est simple, universel, et efficace. Plus je lis des histoires d’horreur à la King, plus je comprends ça. Les monstres sont un prétexte. Ils révèlent ce qu’il y a d’humain en nous quand on est confrontés soit au surnaturel – que la disparition d’un enfant peut évoquer en nous –, soit à une irruption soudaine de l’inattendu dans la banalité de la vie quotidienne.
Maintenant, l’Upside down. Qu’est-ce que c’est ? Dans la série, c’est l’horreur qui les environne tous les jours, qui peut surgir à n’importe quel moment par une fissure de la réalité (the Gate). Je l’interprète comme une allégorie du thème principal de l’horreur telle qu’on la retrouve dans la télé, le cinéma, les livres. Les personnages fictifs vivent avec ce monde invisible car, dans un souci de réalisme qui reste avant tout une constante des œuvres fictives, nous vivons aussi avec. Le but de ce genre, c’est de le révéler et surtout, pour ceux qui ont vraiment compris comment ça marche, de révéler comment on réagit par rapport à ça. Dans toutes les bonnes histoires surnaturelles et flippantes, quelque part dans l’histoire les personnages reconnaissent toujours le caractère irréel de ce qu’ils vivent, soit par l’humour, soit par un autre vecteur ; mais ils le verbalisent toujours. Ça permet deux choses : de rendre le récit vraisemblable (le personnage réagit ainsi car dans une situation pareille on réagirait de la même manière), et d’établir une nette fissure entre la réalité et le surnaturel. La frontière ne se situe pas entre méchants et gentils, elle se situe entre personnes ordinaires et événements extra-ordinaires. Méchants et gentils sont tous dans la même galère ; le mal n’est là que pour polariser les différences de caractère. L’Upside down les fait se déchirer entre eux.
Il y a un terme qui me vient à l’esprit quand je pense à cette série : l’implication émotionnelle. On passe constamment du rire aux larmes. Je me suis surpris à être ému aux larmes et à hurler de rire dans la même minute. C’est extrêmement bien rythmé, ils nous font passer par tous les spectres de l’émotion. Hitchcock disait que l’humour est indispensable dans un film d’horreur, il permet de relâcher la tension accumulée par des scènes insoutenables. King (oui, encore lui, mais c’est un génie donc faudra s’y faire) est bourré d’humour, et ses livres en sont dotés. Cependant il faut différencier l’humour grinçant du rire cordial (cordial au sens de « cœur »). L’humour grinçant peut être un mécanisme de l’horreur : l’humour noir, l’humour satanique, la malice, le malin, le Diable, ce genre de rire flippant qui n’est pas vraiment drôle, mais surtout méchant. Il y aussi le rire nerveux, gêné, automatique, de défense. Mais dans Stranger things, le rire est dénué de toute connotation négative, il vient du cœur. Les gamins sont simplement adorables, ils nous touchent tous car ils sont vrais, et l’horreur fonctionne d’autant plus que l’implication émotionnelle aura été forte. Fais-moi d’abord rire, que je te trouve attachant, et ensuite subis quelque chose d’atroce, et là je pleurerai. Je pleurerai d’autant plus que j’aurai ri.
Pour finir sur un dernier point : la différence entre mélancolie et nostalgie. Depuis quelque temps je me pose la question de savoir quelle est cette différence. Je crois avoir une réponse. La différence entre la mélancolie et la nostalgie, c’est que la nostalgie peut être heureuse. Cette série est une ode aux années 80. La musique, les ambiances, les styles vestimentaires, les objets du quotidien, les coiffures, les références cinématographiques. Stranger things réussit ce tour de force, celui de consacrer le cinéma à la télé. D’autres séries l’ont fait, mais pas de manière aussi poignante et assumée. En terme de qualité de jeu d’acteur, de scénario, de langage cinéma, même d’ambiance, c’est une putain de réussite. Elle rassemble tous les codes du cinéma des années 80, c’est une fête, il n’y a rien de malsain ni de triste, la bienveillance déborde.
La musique. Dudududududu… Lancinant, hypnotique. Clavier synthétique, symbole de l’époque. Les épisodes font alterner cet ostinato et des tubes de l’époque, si bien qu’on a à la fois l’ambiance du présent (musique créée pour la série), et celle du passé (vieux tubes), mélangées pour nous offrir un objet nouveau. La musique hypnotique s’allie parfaitement aux mouvements de caméra subtils et lents. Les retournements à l’horizontale, pour passer de la réalité à l’Upside down, sont accompagnés par cette berceuse de l’horreur. Et je plonge avec délice.